Les sciences de l'information en Suisse

1 Le Comité des Éditions de l’ADBS, fidèle à son choix éditorial déterminé en 2018, avait prévu un numéro international pour 2021. 2 Ce numéro sur les pratiques de l’information en Suisse est donc le second hors métropole paru dans cette nouvelle collection (qui en compte désormais six depuis 2019), après notre numéro sur le Québec (2020, 1). 3 Par une heureuse croisée des chemins, j’ai eu l’honneur d’être conviée au Congrès 2021 de Bibliosuisse à Berne et d’en être la rapporteuse étrangère. 4 J’ai pu partager ce moment si important pour les professionnels : s’interroger sur leurs pratiques, échanger leurs expériences, débattre de leurs visions du métier et des problématiques qui s’y rapportent. 5 Autant de considérations que vous aurez plaisir, j’espère, à découvrir dans ce numéro spécial sur la Suisse. 6 Autant de confortations dans lesquelles vous retrouverez vos interrogations, vos pratiques. 7 Autant de découvertes qui seront peut-être la possibilité d’innovations. Bonne lecture à tous nos adhérents ! Et un grand merci à nos collègues suisses ! 8 Gutes Lesen, Buona lettura.

Les deux dernières décennies auront connu des bouleversements considérables dans tous les champs de la société. Nos rapports à l’information, à la culture ou au savoir ont été largement remis en question. Les sciences de l’information, discipline directement en prise avec ces évolutions, ont accompagné ces changements en élargissant leurs champs d’application ou en adoptant de nouvelles approches méthodologiques. Domaine académique directement en prise avec différents secteurs professionnels, les sciences de l’information construisent cette approche évolutive en dialogue permanent avec des institutions, entreprises et professionnels, dans une grande variété de champs d’application.
Le contexte suisse n’échappe pas à cette dynamique. Celle-ci s’y trouve même largement renforcée en raison des collaborations nombreuses et de longue date qu’entretiennent l’ensemble des acteurs du domaine. Ce dialogue science-société trouve dans les sciences de l’information en Suisse un creuset propice au développement d’initiatives innovantes, de projets d’envergure et de réflexions fécondes au bénéfice de la recherche, de la formation et de l’ensemble des citoyens.
C’est du dynamisme des sciences de l’information en Suisse dans leur ensemble que ce numéro essaie de témoigner, à travers trois thématiques complémentaires. 

Les sciences de l’information évoluent et avec elles les compétences métier. Comment les plans d’études parviennent-ils à suivre ces évolutions ? Quels paradigmes choisir ? En 2020, le corps professoral de la HEG à Genève a entièrement repensé le contenu et l’architecture de la formation Information documentaire. La filière couvre à présent quatre grands axes : Bibliothéconomie, Archivistique, Veille & Recherche de l’information, Technologies de l’information. Ces changements, résultent d’une transformation plus globale qui concerne les sciences de l’information. L’article résume les éléments pris en considération lors de la refonte du Plan d’études et les étapes de ce processus.

 

Seul master consécutif en sciences de l’information en Suisse romande, le Master of Science HES-SO en Sciences de l’information (Msc IS), a beaucoup évolué pour s’adapter aux nouveaux défis et renforcer l’expertise des étudiants. Tout en reposant sur une approche interdisciplinaire, il comprend de plus en plus de modules de spécialisation, notamment sur cet enjeu capital que sont les données, et dans le contexte de l’Open Science. Les étudiants, venus de tous horizons, se retrouvent à porter les deux casquettes du spécialiste en sciences de l’information et du chercheur.

 

La pratique de la veille s’est bien développée en Suisse romande. Cependant, beaucoup d’organisations ne se rendent pas compte qu’elles ont besoin de professionnaliser leur veille. Cette professionnalisation passe par l’adoption de méthodes, d’outils, de modes d’organisation et la formation des personnels, qu’il s’agisse de professionnels de l’information ou d’autres professionnels formés à la veille ainsi que par la recherche appliquée et les publications. La filière en sciences de l’information de la Haute École de Gestion de Genève s’efforce de jouer un rôle majeur, en proposant un panel diversifié de formations. Les incertitudes actuelles sur le futur des métiers et la généralisation de la numérisation peuvent constituer un levier.

 

La Suisse bénéficie d’un tissu associatif dense et dynamique, qui existe également dans le secteur des sciences de l’information, où dominent deux associations nationales : Bibliosuisse et l’Association des archivistes suisses (AAS). Ces associations font face à divers enjeux, liés aux réalités des sciences de l’information, mais aussi à la complexité structurelle du monde associatif suisse. Elles jouent un rôle majeur pour aider les professionnel.le.s à développer leurs compétences, à s’adapter aux mutations, à faire valoir leurs droits. Cependant, sans le soutien actif de ces professionnel.le.s, elles risquent de s’essouffler. Pour que ces associations puissent continuer à assumer leurs responsabilités, les employeur.euse.s et les employé.e.s sont appelé.e.s à s’impliquer toujours plus.

 

En décembre 2020, les bibliothèques suisses ont franchi un grand pas vers une gestion moderne des ressources documentaires, notamment électroniques : le nouveau réseau des bibliothèques académiques swisscovery offre aux usagers un accès sans précédent aux ressources de plus de 470 bibliothèques académiques, scientifiques et patrimoniales en Suisse. Piloté par l’agence SLSP (Swiss Library Service Platform), une société anonyme sans but lucratif fondée par 15 institutions académiques, ce réseau national à vocation multilingue mutualise les ressources et fédère les efforts d’innovation.

 

Début 2018, dans un contexte de mutation des réseaux de bibliothèques en Suisse, le Réseau des bibliothèques de Suisse occidentale (RERO) [1] lance le développement d’un système innovant de gestion de bibliothèque : RERO ILS. Un an plus tard, l’Université catholique de Louvain (UCLouvain) [2], en Belgique, se joint au projet. Ces deux réseaux, très proches des professionnel·le·s sur le terrain, utilisent en effet des solutions logicielles similaires. Après une mise en contexte du projet, cet article décrit les méthodes de travail de l’équipe helvético-belge œuvrant derrière RERO ILS, fondées sur une démarche ouverte et participative, en lien étroit avec les bibliothèques utilisatrices du système.

 

Fondée en 1920, la Fondation Bibliomedia est présente dans les trois principales régions linguistiques de Suisse. La richesse de ses offres et la diversification de ses activités en font une actrice majeure pour les bibliothèques publiques et scolaires de Suisse, mais aussi pour les écoles, les crèches et garderies, hôpitaux ou prisons. Très réactive, Bibliomedia sait anticiper les changements et mutations profondes des bibliothèques tout en maintenant un socle de prestations de base.

En 2014, une ambitieuse politique culturelle régionale a abouti à la fusion de trois structures en Ville de Fribourg. Les deux bibliothèques, francophone et germanophone, ainsi que la ludothèque, ont fusionné pour créer MEMO, une nouvelle institution culturelle bilingue au cœur de la Cité, fondée sur une approche différente de l’organisation et ses processus, qui cherche à conjuguer efficacité, motivation et plaisir. De cette fusion de trois cultures est née une équipe mixte et unie, qui élabore collectivement son avenir, en utilisant du mieux possible les principes d’une gouvernance distribuée, et en édifiant une culture d’entreprise singulière.

 

S’émanciper des normes bibliothéconomiques, abandonner la rigidité des classements conventionnels, favoriser la sérendipité, pour offrir un service personnalisé aux usagers et valoriser leur travail de recherche, c’est ce que propose la Kunstbibliothek (Bibliothèque d’art) de la Fondation Sitterwerk à Saint-Gall, avec son système de classement dynamique. En outre, l’institution met à disposition de l’usager une table de travail numérique, la Werkbank, qui enregistre les titres et métadonnées des documents et matériaux consultés, et les compile en une sélection bibliographique sur son thème de recherche. Les autres usagers peuvent ensuite consulter cette compilation en version numérique ou sous forme d’une brochure (un Bibliozine), laquelle engendre à son tour des recherches et des trouvailles inespérées. Par cette approche ouverte, la bibliothèque se revendique comme un espace vivant, un lieu de créativité et de partage, entre savoir et non-savoir, les utilisateur·trice·s participant activement à la production de nouvelles connaissances.

Sich von bibliothekarischen Standards zu lösen, die Starrheit herkömmlicher Klassifikationen aufzugeben, Serendipität zu fördern, um den Benutzer*innen einen persönlichen Service zu bieten und ihre Forschungsarbeit zu verbessern, das bietet die Kunstbibliothek der Stiftung Sitterwerk in St. Gallen, mit ihrer dynamischen Ordnung. Darüber hinaus stellt die Institution den Nutzer*innen ein weiteres Instrument, die Werkbank, zur Verfügung, welches die Titel und Metadaten der eingesehenen Dokumente und Materialien erfasst und zu einer ibliografischen Auswahl zu ihrem Forschungsthema zusammenstellt. Andere Benutzerinnen können diese Zusammenstellung dann digital oder in Form einer Broschüre (einem Bibliozine) konsultieren, was wiederum zu unerwarteten Forschungen und Entdeckungen führt. Durch diesen offenen Ansatz erhebt die Bibliothek den Anspruch, ein Ort der Kreativität und des Austauschs zwischen Wissen und Nicht-Wissen zu sein, wobei die Benutzerinnen aktiv an der Produktion von neuem Wissen teilnehmen.

 

Lancé en août 2015 dans le cadre du programme national Informations scientifique visant à poser les bases de l’Open Science en Suisse, et cofinancé par swissuniversities, le projet Data Life-Cycle Management (DLCM) fournit aux chercheurs des accès et des partages aisés aux publications scientifiques et aux données de recherche.

 

La Bibliothèque nationale suisse possède une remarquable collection de journaux. Pour faciliter leur consultation tout en protégeant ces objets fragiles, elle a lancé avec les bibliothèques patrimoniales suisses une vaste politique de numérisation en 2009. Après avoir mis au point un modèle de convention avec ses partenaires publics et privés, elle a développé une plateforme mutualisée, ambitieuse et performante : e-newspaperarchives.ch (e-npa.ch).

 

Innover, s’ouvrir et oser ! Tel est le grand message exprimé lors de la téléconférence du 22 janvier 2021 sur l’adaptation des horaires des bibliothèques publiques en Suisse.
Il s’agissait d’encourager les participants à se lancer dans des projets innovants, à ouvrir toujours plus les portes des bibliothèques à leurs usagers.
Quatre intervenantes ont présenté leurs expériences et expérimentations.

Le Bodmer Lab est un laboratoire de recherche à la croisée de l’histoire de la culture et des humanités numériques. Né en 2014 d’une collaboration entre la Faculté des lettres de l’Université de Genève et la Fondation Martin Bodmer, il vise à offrir à plusieurs types de publics une bibliothèque numérique de la littérature mondiale à partir de la Bibliotheca Bodmeriana, un fonds colossal de livres et de manuscrits précieux. L’intérêt de ce projet consiste dans une numérisation intelligente, opérée via un flux opérationnel rigoureux, en regroupements ou « constellations », mais aussi dans la richesse de l’accompagnement proposé. Chercheurs, enseignants et grand public peuvent ainsi s’y plonger avec profit. Ouverte à de nouveaux projets de valorisation, cette plateforme espère répondre à l’appel visionnaire de Robert DARNTON en faveur d’une bibliothèque numérique publique et universelle.

 

Cet article rend compte de la création d’un thésaurus dédié à la description des procédés filmiques du cinéma documentaire. L’enjeu est de dépasser la simple documentation thématique des films afin de faire émerger des liaisons nouvelles entre films documentaires, à des fins de transmission de pratiques cinématographiques et de recommandation algorithmique. La méthodologie déployée est itérative et vise à articuler trois approches complémentaires : l’analyse d’une littérature théorique en études cinématographiques, le recueil de l’expertise des programmateurs, et les apports de l’indexation d’un corpus d’apprentissage.